La décroissance contre les marchands de canon
La Décroissance contre les marchands de canon Christian GHIOTTI, Conseil National du PPLD
En juin dernier s’est déroulé à Paris le plus grand salon de vente d’armes du monde, Eurosatory. Nom bien choisi : le commerce des armes est prodigieux, miraculeux même, mais nous sommes bien éloignés du satori et du Zen : le commerce des armes est un analyseur de nos sociétés. Marché très concentré, ce commerce est pour l’essentiel aux mains de quelques Etats, il est le cœur même de ces quelques Etats. Ainsi, pour la France, dans le peloton de tête des pays exportateurs, nous savons(1) que notre croissance a été consubstantiellement liée au soutien actif à des régimes dictatoriaux qui possèdent les matières premières indispensables à la croissance (Pétrole, uranium, cuivre, terres rares…). Et qu’a pu échanger, même sous les majorités socialistes de la 5ème république, notre pays contre les ressources convoitées, si ce n’est des armes qui permettent aux dictateurs dociles mis en place par nos réseaux (comme les réseaux Foccart pour la Françafrique) de réprimer leurs populations ?
Aucun parti politique de gouvernement, y compris le Parti de Gauche et EELV, partis où se retrouvent souvent des objecteurs de croissance cherchant leur efficacité politique dans un certain « entrisme » dans des organisations connues, ne remet en cause ce commerce et donc cette production mortifère d’armement. La faiblesse de la mobilisation contre Eurosatory traduit la faiblesse continue des luttes dans ce domaine et si de belles actions ont été menées par des pacifistes et des associations (Mouvement pour une Alternative Non violente, Appel des 100, Union Pacifiste…), avant que la décroissance politique commençante ne s’y attelle à travers ses jeunes organisations (PPLD, MOC et collectifs locaux), jamais la classe politique ne s’était réellement préoccupée du sujet. Avec Eurosatory, comme le souligne Patrice Bouveret, directeur de l’Observatoire des armements, « en organisant la promotion de systèmes d’armements –notamment pour des Etats connus pour leur violation des normes internationales – tout en manifestant par ailleurs sa volonté d’empêcher les désastres que ces armes provoquent, le gouvernement français adopte un comportement schizophrène dont il serait temps de sortir ! » Ainsi, François Hollande déclarait, à trois jours du premier tour de l’élection présidentielle aux partenaires(2) de la campagne « Contrôlez les armes »,« son attachement et son engagement personnel à ce que la France joue un rôle moteur pour que soit adopté un traité ambitieux et robuste sur le commerce des armes […], centré sur le respect des droits de l’Homme, du droit international humanitaire et des droits économiques et sociaux nécessaires aux politiques de développement. […] Un traité ambitieux, juridiquement contraignant et universel. » Avec la volonté d’ajouter des « mécanismes de vérification plus efficients sur les matériels, sur les intermédiaires et sur les destinataires finaux. ». Pour le candidat Hollande, il était « de la responsabilité des élus de la nation » de débattre de « l’encadrement du commerce international de l’armement » et que « experts universitaires, ONG, industriels de l’armement » doivent être « associés plus étroitement » au débat autour du « rapport annuel présenté par le ministre de la Défense ».
Cela tombe bien car cet été se négocie à New York un projet pour nous mort-né : le Traité du Commerce des Armes. Ce traité ambitieux est l’aboutissement de nombreuses années de négociation entre états mais il se heurtera au principe de réalité, il sera contourné, comme d’autres traités (3) car il est clair qu’un pays qui respecterait à la lettre le code de bonne conduite se fermerait les portes de nombreux clients et ne pourrait plus faire tourner ses usines d’armement. Vive la croissance !…Si notre nouveau Président, estampillé« normal », ne la cherche pas « avec les dents », à peine élu, Hollande a indiqué ne pas se sentir concerné par l’accord signé avec EELV sur le nucléaire, a confirmé la politique impérialiste d’AREVA au Niger et a lui-même décidé de l’avènement rapide des réacteurs de 4° génération et de confirmer son adhésion au maintien de l’arme nucléaire, un tabou français qui coûte cher. Que peut-on attendre de cette « gauche » là ?
A l’heure où les gouvernements entendent imposer des mesures d’austérité dans une Europe affaiblie, rappelons l’importance du budget militaire : selon le SIPRI (4) pour 2010 en France : 50 milliards d’euro (contre 65 milliards pour l’éducation, le « trou de la sécu » est évalué à 18 milliards environ). Les dépenses militaires mondiales sont colossales (environ 1200 milliards d’euro par an), leur impact écologique et humain est considérable, sur une planète où près d’un milliard de personnes sont sous-alimentées (et où une vingtaine de milliards suffiraient, pour éliminer la sous alimentation (5)).
En Europe, la Grèce est certes un pays endetté. Le remboursement de cette dette y est l’objet comme ailleurs, d’un audit citoyen. Mais entre la question de la création monétaire et celle des taux d’intérêts, la « gouvernance » européenne actuelle penche clairement du côté des banques commerciales. Les derniers résultats électoraux ont vu la victoire de la Droite, saluée par l’actuel gouvernement français et l’ « écologiste » Cécile Duflot : ils auront évité aux Grecs d’être mis « sous tutelle » par l’Europe libérale. On ne sait si le peuple indocile doit se réjouir !
L’on sait encore moins que ce pays endetté est aussi surarmé, les médias dominants ne le disent jamais. Petit pays de 11,3 millions d’habitants, la Grèce est pourtant le 4ème importateur mondial d’armement par habitant ! Les dépenses militaires grecques explosaient de 1988 à 2009 de 1,34 milliards à 7,39 milliards d’euro. En quatre ans seulement (2005 -2009), ces dépenses ont augmenté d’un tiers. Curieusement, le « pouvoir d’achat en armement » donné à la Grèce tient à des concours financiers de banques de mêmes nationalités que les industriels fournisseurs d’armement (USA, Allemagne, France) (6) : la Grèce a acheté à la France des missiles, des blindés, des navires de surface, des Mirage 2000. L’Allemagne a vendu à la Grèce six sous-marins. Nous comprenons vite pourquoi les critiques allemandes à la Grèce montaient en puissance à partir du moment où les marchands de canon allemands faisaient face à des impayés. Les aides financières et le soutien à la Grèce sont conditionnés par l’achat de matériel de guerre : il s’agit de « prêts fléchés » et l’on peut affirmer que le malheur du peuple grec fait le bonheur des marchands de canon allemands, français et américains. Face à l’endettement, les gouvernements ont appliqué des plans de rigueur au peuple grec. Incapable de supporter une division par deux de leurs revenus, des centaines de Grecs ont mis fin à leur jours. Voilà, en Europe, les premières victimes des Dassault, Lagardère, Siemens et des banques qui profitent de la « crise de la dette ».
Aujourd’hui, la marchandisation de l’humain, par la mise en place de lois visant à casser les protections existantes (sécurité sociale, services publics, et à privatiser l’accès aux droits fondamentaux : travail, santé, éducation, eau, logement) entraîne une surveillance toujours plus importante des populations pour prévenir les conflits sociaux qui ne manqueront pas d’arriver en grande partie à cause de l’exclusion massive des populations entières de l’accès à ces droits.
La « gauche » au pouvoir en France a-t-elle seulement l’envie de freiner ce processus ?
La pollution, le réchauffement climatique, l’épuisement des sols arables, et l’épuisement des réserves en combustibles fossiles provoqueront à terme des déplacements massifs de populations. Ces déplacements seront des sources de nouveaux conflits.
Ce sont les conséquences du propre mode de vie des pays occidentaux, dont la France, qui les amènent à recourir à une politique agressive pour perpétuer ce mode de vie, à cette course aux armements et à une mainmise de fait, directement ou par l’intermédiaire de marionnettes gouvernementales, mainmise qui se drape toujours des valeurs abstraites d’un humanisme occidental qui se permet de perpétrer des massacres en toute bonne conscience.
Cette course aux armements est justifiée par une nécessaire sécurité, trop souvent associée à la notion de militarisation. Or, cette militarisation accroît l’insécurité de la planète.
Une véritable politique de sécurité pour les peuples devrait prendre en compte l’arrêt de l’exploitation des pays pauvres par les pays riches, un partage équitable des richesses limitées de notre planète, une politique de décroissance du PIB et de l’empreinte écologique dans les pays riches, la décroissance globale de l’empreinte écologique, le tout accompagné d’une recherche de solutions politiques aux conflits.
S’attaquer au commerce des armes permet donc de repérer une radicalité : pas de décroissance possible sans réflexion sur ce que l’on produit et sur l’impact écologique et humain de cette production. Pas de société de décroissance (non pas l’austérité mais la société du « bien vivre », équitable, heureuse, conviviale, souhaitable, durable…), pas de sortie du commerce des armes sans sortie du capitalisme. La Décroissance est un pacifisme éclairé.
(1). François-Xavier Verchave : De la françafrique à la mafiafrique , ed. Flibuste, 2004
(2) Oxfam France, Amnesty International France, CCFD Terre Solidaire
(3) ainsi la France qui vendait directement des obus à l’Irak pendant la guerre irano-irakienne mais aussi à l’Iran, par l’intermédiaire de la société Luchaire (rapporté par Jean de Tonquedec, in alternatives internationales, juin 2005) ce qui conduisit à un scandale et un procès avorté. Rappelons aussi, avec Verschave le rôle des marchands de canon de notre pays dans les massacres africains (Rwanda, Congo, guerres civiles…). Et de toute façon, le plus gros exportateur mondial, les USA, se moque des traités de bonne conduite, on peut à ce sujet se référer par exemple à l’Irangate.
(4) SIPRI : Stockholm International Peace Research Institute
(5) Jean Ziegler : L’empire de la honte, Livre de Poche, 2005
(6) voir à ce sujet, entre autres, les sites mondialisation.org (Grèce : accord militaire avec l’Etat français et achat d’armement, du 26/05/2010), Le Post archive du 07/05/2010, heavenforum.org ; et « contrepoints.org » du 10/01
Des politiciens à courte vue. A propos de la baisse du prix de l’essence
de ocdeparis à propos de la baisse du prix de l'essence
Alors que le « peak oil » est passé depuis 2006, qu’il nous faut sortir des combustibles fossiles pour limiter l’effet de serre, développer le mix énergétique et surtout faire baisser notre consommation d’énergie, les socialistes et leurs alliés EELV courent après la croissance, cette arlésienne des politiciens d’aujourd’hui, et, leur popularité baissant avec le chômage qui croit, décideurs à courte vue, ils font assaut de démagogie car nous savons que l’écrasante majorité de nos concitoyens souhaitent une baisse du prix de l’essence.
Ainsi, le gouvernement français décide, alors que le prix du Bret augmente en ce moment, que la production de pétrole et de gaz est quasiment bloquée dans le Golfe du Mexique et que les USA utilisent leurs réserves stratégiques pour soulager un peu la tension sur le prix de l’énergie, de baisser artificiellement le prix de l’essence de 0,06 euro. Cette baisse modeste est répartie entre les pétroliers et l’Etat français : Hollande ménage comme toujours les compagnies pétrolières qui font de gros bénéfices et qui décident des remaniements ministériels et cette décision va coûter de l’argent aux contribuables. Pour le consommateur moyen, c’est une économie de 72 euro par an environ, impact faible sur une année : mieux vaudrait agir à moyen terme, développer des transports en commun et resserrer l’urbain.
Mais cette baisse artificielle de toute façon ne saurait continuer : nous le savons, l’impératif aujourd’hui devrait être de préparer « l’après-pétrole » et de sortir des combustibles fossiles.
Pour sortir des fossiles, les connexions entre l’accès aux ressources fondamentales et l’obligation d’avoir accès à des emplois (structurellement de plus en plus rares dans le système capitaliste bloqué dans sa croissance : le chômage explose) doivent être cassées.
La décroissance politique propose des solutions durables, équitables et souhaitables.
Il s’agit de sortir du capitalisme, du productivisme et de faire de l’écologie véritable (et non pas de faire d’un parti écologique un outil pour des carriéristes).
Nos solutions sont à la fois justes socialement et soutenables écologiquement, en s’appuyant sur huit axes principaux :
1. la Dotation inconditionnelle d’autonomie (DIA)(revenu inconditionnel, gratuités, monnaies locales fondantes) et Revenu Maximum Acceptable (RMA) ;
2. révolution par les gratuités (gratuité des besoins de base et surenchérissement du mésusage)
3. après développement (sortir de l’industrialisme, agriculture paysanne, maraîchage périurbain, production manufacturée, resserrement de l’urbain et développement des campagnes)
4. relocalisation des productions et des consommations (circuits courts)
5. arrêt immédiat des nucléaires (civil et militaire)
6. réduction du temps de travail (autonomie généralisée de la vie)
7. une démocratie véritable
Christian Ghiotti pour le Collectif Francilien pour la Décroissance (groupe bientot rebaptisé "les objecteurs de croissance IdF")
La décroissance, ça se mesure ! Ou comment politiser la simplicité volontaire et socialiser la militance ?
Article rédigé par Boris pour son intervention aux (F)Estives 2012 des OC à Rossignol :
Réflexions sur l’intérêt de mesurer et de quantifier - par un aller-retour entre l’individuel et le sociétal - nos consommations de ressources et nos dépenses.
Postulats
Si
· Nous définissons la décroissance comme la période de transition volontaire et démocratique qui ramènera l’empreinte écologique globale de l’humanité à 1 (décroissance au Nord, croissance au Sud).
· Nous admettons que cela touche tous les aspects de la vie quotidienne et qu’il s’agit donc pour chacun de s’extraire « en marche » des pratiques et de la logique liées au système actuel (capitaliste, productiviste, consumériste).
· Nous admettons que tout système a des « raisons suffisantes »[1] d’être ainsi et que ses contemporains (nous) en sont tissés, même s’ils le rejettent intellectuellement. Et qu’il leur faudra donc se tisser progressivement avec d’autres fils ayant d’autres « raisons suffisantes », c'est-à-dire aussi désirables.
Hypothèses de réflexion
Alors, il peut être utile de
· Montrer, à travers des chiffres reliés à des pratiques, à quoi cela peut correspondre et ressembler, concrètement, dès aujourd’hui. Et montrer quels en sont les plaisirs et les intérêts.
Montrer à qui ? A nous-mêmes en tant que mouvement politique pour renforcer notre action ; aux autres mouvements politiques pour crédibiliser nos propositions ; aux élus en place (en tant que représentants des institutions) pour convaincre des impacts potentiels ; aux personnes (particuliers) avec lesquelles nous échangeons pour les rassurer et les engager au changement ; à soi-même pour avancer dans ses expérimentations.
· Mesurer dans le temps cette descente de la consommation et de la production.
Auto-limitations
Commençons par désamorcer quelques objections prévisibles face à ce type de démarche « quantitative ».
Oui, cela peut être utile mais ce n’est pas fondamental. Une pratique utilitariste de transition sur fond d’anti-utilitarisme (tel que formulé par le MAUSS et Alain Caillé) :
· C'est-à-dire avec la précaution que cela reste un outil périphérique parmi une multiplicité de lignes d’actions. Cette quantification frénétique de nos vies serait en effet tout aussi néfaste que sa marchandisation.
· Donc avec la volonté de garder au centre les motivations intrinsèques de nos actions (sens, sympathie, plaisir, convivialité, goût de bien faire…) plutôt que d’aliénantes motivations extrinsèques (argent, pouvoir, bons points d’utilité sociale ou écologique…).
Oui, la mesure est réductrice, c’est sa fonction même. Elle est partielle, partiale. Elle a vocation à agir sur le monde, pas à le décrire fidèlement. Elle complète donc des objectifs politiques plus larges. Comme cela a été souvent posé dans les débats sur le PIB, les indicateurs choisis reflètent des choix. Nous n’y échappons pas.
Oui, on peut trouver des données qui vont dans tous les sens. La recherche de données qualifiées est un travail ardu et de longue haleine. Je reviens au chapitre suivant sur cette objection pour ce qu’elle signifie en termes de qualité du débat démocratique.
Non, ce n’est pas une course à l’échalote : « je suis plus décroissant que toi, j’ai gagné ! ». Seules 2 comparaisons ont du sens :
· avec une moyenne (ou médiane) nationale ou locale, à un temps T,
· pour une même donnée au cours du temps (mesure longitudinale).
Non, le fait de prouver qu’un certain niveau de décroissance est déjà possible dans le système économique et social qui est le nôtre n’est pas un énième épisode du développement durable ou de la croissance verte qui chercherait à prolonger le « business as usual ». La transition qu’est la décroissance commence sans attendre « les lendemains qui chantent » par une multiplicité d’évolutions pratiques dans des directions radicalement rénovées.
Bonnes raisons
Continuons par voir pourquoi une telle démarche est intéressante.
Parce que nos idées, mises en pratique et chiffrées, peuvent devenir visibles, concrètes, accessibles, convaincantes.
· Si l’on veut saper à la base les caricatures faciles, récurrentes et efficaces : « vous voulez revenir à la bougie et à l’âge des cavernes ».
· Si l’on veut répondre à l’inquiétude légitime : « décroître, oui, mais jusqu’où ? ».
· Si l’on veut bien arrêter de considérer que l’argument moral « c’est mieux » est suffisant et mobilisateur.
· Si l’on veut bien cesser de dénier complètement l’importance des aspects économiques : « combien ça me/nous coûte, combien ça me/nous fait économiser ? ».
Parce qu’un changement n’arrive pas tout seul. Si l’on estime qu’une évolution sociale est mue par 4 moteurs :
· Des changements de représentations, de vision de l’avenir.
· Des expérimentations concrètes, ici et maintenant, qui prouvent d'autres possibles.
· Une lente appropriation par les systèmes culturels et éducatifs.
· Des innovations au niveau des structures et des règles.
Il nous faut construire des outils partagés pour faire bouger et articuler :
· les comportements personnels ;
· les modes de fonctionnement des collectifs et des organisations ;
· les régulations institutionnelles et politiques.
Pour cette transition planifiée démocratiquement, la mesure est à la fois le produit ET le cadre de l’action. La mesure est en effet performative. On évalue les résultats obtenus et cela permet de piloter l’étape suivante. C’est un point d’appui pour agir.
Parce que les éléments et le chemin de cette décroissance sont expérimentaux, il importe de vérifier au fur et à mesure comment tel ou tel paramètre évolue par rapport à la situation de départ.
· Si l’on veut faire ressortir le fait qu’une décroissance de la consommation de ressources peut s’accompagner d’un maintien du niveau d’usage ou de service rendu. Mais ce n’est pas le cas pour tous les usages, tels qu’ils sont pensés aujourd’hui (propriété privée, renouvellement fréquent…).
· Si l’on veut intégrer les externalités et le long terme dans la réflexion par des calculs en coûts globaux (direct / indirect, achat / maintenance, individuel / socialisé).
· Si l’on veut ainsi imposer de nouveaux indicateurs socio-économiques : la soutenabilité, la résilience, la relocalisation, le pouvoir des usagers… et montrer que nos préconisations agissent pour les développer.
· Si l’on veut se prémunir d’un piège : l’effet rebond. L’expérience prouve que toute action de diminution d’une consommation est mise en péril par cet effet pervers (exemple : les réfrigérateurs consomment moins, mais ils sont plus gros et plus nombreux). L’objectif étant bien une décroissance en valeur absolue, des indicateurs doivent débusquer ces améliorations uniquement relatives.
Parce que le processus de construction d’une mesure et cette mesure apportent en eux-mêmes des informations et des questions.
· Sur les rouages de nos propres habitudes et pratiques (« Finalement, ma consommation de ceci n’est pas comme je pensais… »).
· Sur les rouages de notre système (« Finalement, la priorité va d’abord à la diminution de telle consommation qui est la plus importante en volume… »).
· Sur le fonctionnement démocratique et technocratique de notre société : Pourquoi telle donnée n’est pas collectée, pourquoi n’est-elle pas publique, par qui est-elle produite, pourquoi le mode de calcul a-t-il changé ?
Cette connaissance permet de dépasser les déclarations d’intention velléitaires et floues, de se construire un minimum de culture et quelques repères précis sur ces sujets. De même que dans un débat sur la fiscalité, un peu sérieux et honnête, on doit rappeler clairement une simple donnée telle que le revenu médian.
Mise en pratique
Voyons à travers quelques exemples, la démarche qui articule mesures individuelles et données collectives et qui permet :
· De montrer l’effectivité et l’ampleur d’une décroissance possible ici et maintenant. Et ses limites. Donc ses perspectives.
· D’interroger certains choix collectifs (donc politiques) du système actuel, pas toujours apparents pour tous.
· De renforcer et d’orienter l’action militante.
Prenons pour cela un « français moyen » et un « décroissant moyen ». Les données du « français moyen » sont celles que l’on trouve (assez laborieusement) dans les statistiques publiées par l’INSEE ou l’ADEME. Les données du « décroissant moyen » sont issues de mesures personnelles (on parle bien de ce que l’on connaît, comme disait l’autre !) réalisées depuis presque 2 ans.
Nous ne rentrerons pas ici dans le détail des pratiques « décroissantes » qui amènent à ces résultats. Ce n’est pas le propos et elles sont plutôt bien connues. Disons simplement qu’il s’agit bien de choix individuels insérés dans des dynamiques collectives (ne serait-ce qu’en termes de savoirs). C'est-à-dire que sans la volonté d’essayer et de faire, les cadres collectifs de l’action ne se construisent pas. Mais sans collectifs actifs et sans réseau social, dans tous ces domaines de la vie quotidienne, un individu, même très motivé, ne parvient pas à tout mener.
Précisons enfin que le niveau de vie (au sens de l’INSEE) de la « famille décroissante » correspond au niveau de vie médian en France (2008 : 3600 € pour un couple avec 2 enfants). Ca tombe bien pour parler du français moyen !
L’habitat : se chauffer, se laver, cuisiner, s'éclairer et faire fonctionner les appareils.
« Français moyen » « Décroissant moyen »
9 000 kWh Energie Finale / an / habitant 3 080 kWh Energie Finale / an / habitant
Soit 1400 € / an / foyer Soit 600 € / an / foyer
Chauffage (bois bûches) + électricité (Enercoop)
Soit 10 fois moins d’émissions de CO2 que la moyenne
A niveau de confort thermique égal, voire supérieur compte tenu de la température des murs.
Au-delà de cette comparaison pour un même usage, on peut mettre en rapport ces 9 000 kWh / habitant pour l’habitat avec d’autres « chantiers de la transition énergétique » :
· Eclairage public : 91 kWh / habitant
· Tertiaire (commerce, bureaux, enseignement, santé, sport) : 3 650 kWh / habitant
S’il faut tout mener de front pour arriver à une décroissance énergétique significative, du point de vue des gisements d’économies, on peut conclure que la question du logement est une priorité.
Par ailleurs, c’est dans ce domaine que les effets rebonds ont été les plus nombreux ces 50 dernières années :
· Si les ménages habitaient en 2006 dans les mêmes logements que 20 ans auparavant (en termes de surface et d'éloignement des centres-villes) leur consommation d'énergie serait 10 % plus faible.
· En 2010, un Français achète environ 6 fois plus d'équipements électriques et électroniques que 20 ans auparavant.
L’eau domestique : se laver, entretenir
« Français moyen » « Décroissant moyen »
48 m3 / an / habitant 35 m3 / an / habitant
Rappelons que pour l’eau chaude, une économie d’eau est aussi une économie d’énergie.
Mettons à nouveau cette consommation domestique en rapport avec d’autres usages de l’eau :
· Agriculture (sur le territoire français) : 822 m3 / an / habitant
· Agriculture (importations) : 730 m3 / an / habitant
· Industrie (sur le territoire français) : 71 m3 / an / habitant
· Industrie (importations) : 115 m3 / an / habitant
Par rapport aux – nécessaires – économies d’eau liées au logement, on voit ici l’impact énorme que peut avoir le mode et les circuits d’alimentation (32 fois plus d’eau consommée dans l’agriculture que dans l’habitat), notamment la consommation de viande, via les cultures fourragères.
L’assainissement
« Français moyen » « Décroissant moyen » *
Boues d’épuration (déchet assez problématique 2 m3 de compost / an
car non assimilable directement par les plantes)
Pollution des eaux de surface Rétablissement des cycles de la matière organique, base de la fertilité des sols
Appauvrissement des sols
20% de la consommation d’eau économisée
* Avec des toilettes sèches et un système de phytoépuration.
Quel est le coût que nous consacrons collectivement au TOUT à l’égout (c'est-à-dire à la gestion de l’eau des toilettes, principale source de polluants biologiques) ?
Réseau + systèmes d’épuration + pollutions diverses (source ADEME) :
· Investissement : 750 € / habitant / an
· Fonctionnement : 15 € / habitant / an
Un débat concernant cette dépense collective a-t-il été mené ? Des alternatives, possibles pour un certain nombre de logements ont-elles été discutées ? Sachant que l’assainissement est la plus grande source de profit pour les entreprises de l’eau…
Les déchets ménagers
« Français moyen » « Décroissant moyen »
532 kg / an / personne 52 kg / an / personne
Dont 311 kg d’Ordures Ménagères Résiduelles Dont 8,3 kg d’Ordures Ménagères Résiduelles
Soulignons qu’on atteint ici un facteur 10 (c'est-à-dire une baisse de 90%). Pour information, les objectifs du Grenelle sont une diminution de 7% sur 5 ans à partir de 2008…
Notre hypothèse est que le paramètre principal est le mode d’alimentation : du frais, du local, pas de manière accessoire, toute l’année, donc très peu d’emballages (ou des contenants réutilisables tels quels). Une quantité importante de déchets compostables (dont de la nourriture) doit également se retrouver dans ces ordures résiduelles du « français moyen ».
Quand on sait que la part des impôts fonciers qui revient aux communes pour leur budget est la même que celle consacrée à la gestion des déchets… Un débat concernant cette dépense collective a-t-il été mené ?
Signalons par ailleurs, que l’ensemble des déchets (ménagers et non ménagers) produits en France est de 10 000 kg / habitant. Comme pour l’eau, le non domestique est prépondérant (même si il concerne bien, in fine, des produits consommés par tout un chacun).
L’alimentation
« Français moyen » « Décroissant moyen »
5 900 € / foyer 8 700 € / foyer *
* Sans manger plus, bien sûr.
Il semble bien que cela coûte plus cher de manger bio et local, même en circuits courts… Et alors ? Rappelons la part de budget toujours plus faible consacrée par les ménages à leur alimentation (de 25% en 1970 à 15% aujourd’hui). Peut être peut-on débattre de qualité des produits et de juste rémunération du travail d’autrui ?
Les émissions de CO2
Cet indicateur présente l’intérêt d’agréger différents types d’usages.
« Français moyen » « Décroissant moyen »
20 tonnes eq CO2 10 tonnes eq CO2 *
Habitat + alimentation + équipements + transport
* Résultat issu du croisement de plusieurs sources de calcul
Le « décroissant moyen » atteint donc ici un facteur 2. Le détail de la structure des postes d’émission de CO2, montre clairement que pour cette famille en milieu rural, l’objectif est de diviser par 2 ses déplacements en voiture pour atteindre le facteur 4 en émissions de CO2. Comment ? Individuellement, cela passe par une optimisation des déplacements, du co-voiturage, éventuellement une diminution du temps de travail ou du télé-travail. Collectivement, cela passe par une revendication de moyens de transport en commun et la relocalisation d’activités et de services.
Références d’outils d’aide à la mesure
Pour le suivi dans le temps des différentes consommations d’un foyer :
· www.ecolometre.com
Pour réaliser un bilan carbone :
· www.leclimatentrenosmains.org
· www.coachcarbone.org
· www.ecolometre.com
Epilogue
Ces considérations pourraient paraître assez banales dans d’autres contextes.
En fait, elles s’adressent d’abord aux « décroissants » et « objecteurs de croissance », eux-mêmes :
· Aux tenants de la simplicité volontaire, pour dire que l’on peut relier des pratiques individuelles à des données et des enjeux collectifs. Et ainsi refaire de la politique.
· Aux tenants de la politique programmatique, pour dire que l’on peut s’appliquer, tester et expérimenter une idée, en situation, ici et maintenant. Et ainsi faire de la politique autrement. Et ainsi être accessibles, par le partage et la coopération, à nos voisins de palier.
· A tous, pour dire que cet exercice (des expérimentations + une réflexion partagée sur leurs enjeux politiques) démontre notre capacité à nous réapproprier nos usages et leur gestion, avec une autre légitimité que celle de l’élu ou du technicien. Et ainsi exercer le pouvoir sans le prendre[2].
A un moment où nous avons, en tant que mouvement social et politique, besoin de renforcer nos propositions, de nous outiller pour porter plus efficacement nos idées et pratiques auprès des élus et des citoyens.
Elles sont une piste pour répondre à la question de plus en plus fréquente et légitime : « la décroissance, d’accord, mais comment ? »
C’est, en tout cas, mon expérience.
Si nous ne souhaitons pas donner à priori une définition pour tous du bien-vivre dans la décroissance, nous avançons un cadre méthodologique : c’est sur la base d’idées multiples en expérimentations multiples ET par un aller-retour
· entre des pratiques individuelles / collectives et des régulations institutionnelles ;
· entre des changements du côté des consommateurs (demandes / usages) et des changements du côté des producteurs (offres / innovations, principalement sociales) ;
que se construit et se construira à grande échelle cette transition. Son contexte de développement (!) est la relocalisation des activités et des niveaux de décision, c’est à dire la réappropriation de nos usages, y compris de la démocratie.
C’est « de surcroît »[3] que nous sommes anti-capitalistes, anti-productivistes et anti-consuméristes. Nous sommes d’abord des chercheurs de modes de vie différents. Avant de mettre des « grands » mots sur les problèmes et les pistes de solutions, nous nous sommes posés une question : « est-ce ainsi que nous voulons vivre ? »[4]. C’est cette interrogation radicale et anthropologique que nous voulons partager.
Boris Prat, poly-citoyen, militant-chercheur
(du Mouvement des Objecteurs de Croissance, le MOC).
www.les-oc.info
Août 2012
[1] Leibniz
[2] Foucault
[3] Miguel Benasayag, Du contre-pouvoir, 2008
[4] Elodie Vieille-Blanchard, Notre décroissance n’est pas de droite, 2012
Grenelle de l’environnement : la supercherie écologique [Jean-Christophe Mathias]
Cet ouvrage est une analyse juridico-politique des lois Grenelle 1 et Grenelle 2.
Il démontre que ce qui a été présenté comme une opération pour la protection de l’environnement était une manipulation purement électoraliste.
Chronique d’un objecteur de croissance [Serge Latouche]
Croissance, croissance, tel est le mot magique prononcé à satiété pour nous sauver des crises qui n'arrêtent pas de se succéder.
Décroissance serait un gros mot à bannir, surtout au moment des élections !
Serait-ce la prétention de l'homme de croire qu'il peut exploiter la planète et ses congénères jusqu'à plus soif et qu'il a créé un modèle qui générera toujours plus de richesse, toujours plus de bonheur ?
Pourtant, depuis les thèses de Nicholas Georgescu-Roegen, nous savons que cela n'est pas possible, tandis qu'Ivan Illich et André Gorz nous ont appris qu'un autre schéma de société était possible, qui respecte tout à la fois l'environnement et l'homme.
Serge Latouche défend depuis toujours cette démarche avec pertinence et talent. Ses chroniques, parues dans Politis et revues pour cet ouvrage, nous font prendre conscience de l'urgence et de la justesse de ses analyses.
Il ne s'agit pas seulement d'adapter notre attitude face au dérèglement de notre civilisation, mais il s'agit bel et bien de notre survie.
Journée internationale de solidarité avec les Pussy Riot le 17 août
Vendredi 17 Août 2012
Une journée internationale de solidarité avec les Pussy Riot a été organisée pour le 17 août.
A Paris, le rassemblement se tiendra donc :
Le vendredi 17 août à 12h30 place Stravinsky (Paris 4ème arrondissement, à côté du centre Pompidou).
Pour rappel, les Pussy Riot sont des militantes féministes punk qui sont actuellement emprisonnées et poursuivies par Poutine et l'Episcopat pour avoir chanté une prière anti-Poutine (de moins d'une minute) dans la cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou. Le chef d'accusation est: "vandalisme aggravé, incitation à la haine religieuse et sabotage des valeurs et du fondement spirituel du pays». Elles encourent jusqu'à 7 ans de prison et sont déjà victimes de mauvais traitements.
Le but de leur action avait pour but de démontrer les liens entre l'Etat et l'Eglise en Russie, le texte de la chanson, intitulée « Vierge Marie, deviens féministe, délivre-nous de Poutine! », mentionnant la corruption de l'Eglise, ainsi que l'interdiction des Gay Prides en Russie.
Il est donc important d'être présent-e-s et visibles vendredi pour dénoncer la répression du mouvement féministe en particulier et la liberté d'expression en général, mais aussi tout simplement pour soutenir des militantes qui vont payer le prix fort pour leur engagement féministe et révolutionnaire.
En guise de soutien au Pussy Riot, une activiste ukrainienne de Femen a tronçonné une croix orthodoxe en plein centre de Kiev (AFP/Genya SAVILOV).
Procès en direct : http://reuters.livestation.com/demo
Peaches en soutient avec les Pussy Riot
Pétition : Exploration et exploitation du gaz de schiste (Quebec)
Ici ou labas, le gaz de schiste on en veut pas! Une vidéo québécoise sur le défaut de démocratie dans l'exploitation des Gaz de Schiste, si le Parti Socialiste reouvre le dossier du gaz de schiste alors à nous de le fermer pour toujours.
Texte de la pétition
CONSIDÉRANT QUE des travaux d’exploration visant à exploiter le gaz de schiste se déroulent au Québec et qu’ils présentent des risques environnementaux importants, notamment pour l’eau en raison des produits chimiques utilisés pour la fracturation ainsi que l’augmentations des GES (gaz à effet de serre);
CONSIDÉRANT QUE des conséquences environnementales de cette exploitation ont eu des effets dévastateurs aux États-Unis et en Alberta;
CONSIDÉRANT QUE ces travaux soulèvent une inquiétude légitime chez les citoyens et les citoyennes, des communautés ainsi que des élus municipaux qui n’ont pas les pouvoirs d’arrêter ces travaux ou n’ont pas les ressources pour gérer les conséquences de tels travaux;
CONSIDÉRANT QUE le Bureau d'audiences publiques sur l’environnement a reçu un mandat qui se limite à proposer très rapidement un cadre de développement de la filière des gaz de schiste et que pendant ce temps les forages se poursuivent;
CONSIDÉRANT QUE le Québec est actuellement apte à entreprendre un virage vers l’exploitation des énergies durables qui contribuerait à la diminution des GES tout en contribuant à l’emploi et à la richesse collective dans une optique nationale ;
CONSIDÉRANT QU’il est fondamental de décider collectivement de l’exploitation de nos ressources et que l’importance de cet enjeu nécessite une large consultation publique visant entre autres à décider de notre avenir énergétique ;
Nous, citoyens québécois, demandons que le gouvernement provincial du Québec ordonne un moratoire complet sur l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste.
Les limites à la croissance dans un monde fini [Donella H. Meadows]
En 1972, quatre jeunes scientifiques du MIT rédigent à la demande du Club de Rome un rapport qu’ils intitulent The Limits to Growth. Celui-ci va choquer le monde et devenir un best-seller international. Pour la première fois, leur recherche Établit les conséquences dramatiques d’une croissance exponentielle dans un monde fini. En 2004, quand les auteurs reprennent leur analyse et l’enrichissent de données accumulés durant trois décennies d’expansion sans limites, l’impact destructeur des activités humaines sur les processus naturels les conforte définitivement dans leur raisonnement. En 1972, la problématique centrale de leur livre était : « comment éviter le dépassement » ; désormais, l’enjeu est : « comment procéder pour revenir dans les limites de la planète ».
Les auteurs
Décédée en 2001, Donella Meadows Était une spécialiste des systèmes, professeur d’Études environnementales à l’Université de Darmouth (New Hampshire). Dennis Meadows est professeur émérite de l’Université du New Hampshire en gestion des systèmes. Jorgen Randers est professeur de stratégie climatique à la BI Norwegian Business School à Oslo.
L’impossible capitalisme vert
Daniel Tanuro vous êtes l’auteur de L’impossible capitalisme vert, paru aux éditions Les empêcheurs de penser en rond / La découverte. Vous êtes aussi le fondateur de l’ONG « Climat et justice sociale ». Qu’est-ce que le « capitalisme vert » ?
D.T. : L’expression « capitalisme vert » peut s’entendre dans deux sens différents. Un producteur d’éoliennes peut se targuer de faire du capitalisme vert. En ce sens - au sens que certains capitaux s’investissent dans un secteur « propre » de l’économie – une forme de capitalisme vert est évidemment possible et très rentable. Mais la vraie question est de savoir si le capitalisme dans son ensemble peut tourner au vert, autrement dit si l’action globale des capitaux nombreux et concurrents qui constituent le Capital peut respecter les cycles écologiques, leur rythmes, et la vitesse de reconstitution des ressources naturelles. C’est dans ce sens que mon livre pose la question et il y répond par la négative. Mon argument principal est que la concurrence pousse chaque propriétaire de capitaux à remplacer des travailleurs par des machines plus productives, afin de toucher un surprofit en plus du profit moyen. Le productivisme est ainsi au cœur du capitalisme. Comme disait Schumpeter : « un capitalisme sans croissance est une contradiction dans les termes ». L’accumulation capitaliste étant potentiellement illimitée, il y a un antagonisme entre le capital et la nature, dont les ressources sont finies. On peut objecter que la course à la productivité amène le capital à être de plus en plus économe en ressources, ce qui se traduit notamment par la diminution observée de la quantité d’énergie nécessaire à la production d’un point de PIB. Mais, d’une part, cette tendance à l’efficience accrue ne peut évidemment pas se prolonger indéfiniment de façon linéaire et, d’autre part, on constate empiriquement qu’elle est plus que compensée par la masse croissante de marchandises produites. Le capitalisme vert est donc un oxymore, au même titre que le capitalisme social.
Ce constat ouvre un débat entre deux conceptions stratégiques opposées. Pour les uns, le fonctionnement spontanément écocidaire du capitalisme peut être corrigé par une action politique dans le cadre du système, en recourant aux mécanismes marchands (taxes, incitants fiscaux, droits d’émission échangeables, etc.). Pour les autres, dont je fais partie, une politique de rupture s’impose au contraire parce qu’une remise en cause des lois fondamentales du capitalisme est absolument indispensable au sauvetage de l’environnement. Il s’agit notamment d’oser contester la propriété privée des moyens de production, fondement du système. A mon avis, le débat entre ces deux lignes est tranché en pratique par l’exemple de la lutte contre les changements climatiques. Dans les pays capitalistes développés, nous sommes confrontés à l’obligation d’abandonner quasi-complètement l’usage des combustibles fossiles en deux générations à peine. Si l’on exclut le nucléaire – et il faut l’exclure - cela implique, en Europe par exemple, de diviser de moitié environ la consommation finale d’énergie, ce qui n’est possible qu’en réduisant dans une mesure non négligeable la transformation et le transport de matière. Passage aux renouvelables et réduction de la consommation énergétique sont liés et nécessitent des investissements importants, inconcevables si les décisions restent subordonnés au dogme de l’efficience-coût. Or, l’alternative à l’efficience-coût ne peut être qu’une planification démocratique axée sur les besoins sociaux et écologiques. Et cette planification à son tour n’est possible qu’en brisant la résistance des monopoles du pétrole, du charbon, du gaz, de l’automobile, de la pétrochimie, de la construction navale et aéronautique,…, car ceux-ci veulent brûler des combustibles fossiles le plus longtemps possible.
Le changement climatique est au centre de votre livre. Vous interprétez ce changement comme étant un « basculement climatique ». Qu’entendez-vous par basculement, et en quoi celui-ci vous paraît-il être autrement plus inquiétant qu’un simple changement ?
D.T. : L’expression « changements climatiques » (il s’agit bien de changements, au pluriel) suggère la répétition de variations climatiques analogues à celles du passé. Or, d’ici la fin du siècle, en quelques décennies, le climat de la Terre risque de changer autant qu’au cours des 20.000 années écoulées depuis la dernière glaciation. Nous ne sommes sans doute plus très loin d’un « tipping point » au-delà duquel il ne sera plus possible d’empêcher la fonte à terme des calottes glaciaires formées il y a 65 millions d’années. Pour décrire cette réalité, le terme « basculement » est indiscutablement plus adapté que celui de « changements » ! La vitesse du phénomène est sans précédent et fait peser une menace majeure, car de nombreux écosystèmes ne pourront pas s’adapter. Cela vaut non seulement pour les écosystèmes naturels mais aussi, je le crains, pour certains écosystèmes aménagés par l’être humain. Voyez ce qui se passe au Pakistan : conçu par le colonisateur britannique en fonction de ses intérêts impérialistes, le dispositif de gestion des eaux de l’Indus par des barrages et des digues qui alimentent un vaste réseau d’irrigation se révèle inadéquat face au risque de crues exceptionnelles. Or, ce risque augmente parce que le réchauffement perturbe le régime des moussons et augmente la violence des précipitations. Il me semble illusoire d’espérer gagner cette course de vitesse en renforçant les infrastructures existantes, comme le proposent la Banque Mondiale et les grands groupes capitalistes spécialisés dans les travaux publics. A l’endiguement des eaux, il serait plus raisonnable d’opposer la gestion souple des crues qui était pratiquée avant la colonisation. C’est ce que propose l’IRN (International Rivers Network) : permettre aux flots d’évacuer les sédiments pour empêcher l’envasement du bassin et alimenter le delta, arrêter la déforestation, ménager des zones inondables, etc. Mais cela demande une refonte complète du dispositif, sur plus de 3000 km, avec des implications majeures sur l’aménagement du territoire, la politique agricole, la politique urbaine, la production énergétique, etc. Sur le plan social, cette refonte, à réaliser en deux ou trois décennies (c’est-à-dire très vite pour des travaux d’une telle ampleur !), implique de remettre en cause le pouvoir de l’oligarchie foncière ainsi que les programmes de développement que FMI et Banque Mondiale imposent par le truchement de la dette. Cette dette doit d’ailleurs être annulée, sans quoi la reconstruction sera lourdement hypothéquée et le pays, étranglé, risquera d’entrer dans l’histoire comme le premier exemple de spirale régressive où le réchauffement global lie entre eux tous les mécanismes du sous-développement et en démultiplie les effets négatifs. On voit bien ici comment les questions sociales et environnementales s’interpénètrent. En fait, la lutte contre le basculement climatique requiert un basculement politique vers un autre modèle de développement, centré sur la satisfaction des besoins des populations. Sans cela, d’autres catastrophes encore plus terribles risquent de se produire, dont les pauvres seront les principales victimes. Tel est l’avertissement lancé par le drame pakistanais.
Vous estimez que les pays du Sud devraient « sauter » l’étape des énergies fossiles pour assurer leur développement et passer directement à celle des énergies renouvelables. Que répondez-vous à ceux qui vous objectent que les énergies renouvelables ne sont pas en mesure (techniquement et quantitativement) d’assurer cette fonction ?
D.T. : Je leur réponds qu’ils ont tort. Le flux solaire qui atteint la surface de la Terre équivaut 8 à 10.000 fois la consommation énergétique mondiale. Le potentiel technique des énergies renouvelables – c’est-à-dire la part de ce potentiel théorique utilisable au moyen des technologies connues, indépendamment du coût – représente six à dix-huit fois les besoins mondiaux, selon les estimations. Il est certain que ce potentiel technique pourrait augmenter très rapidement si le développement des renouvelables devenait enfin une priorité absolue des politiques de recherche dans le domaine de l’énergie (ce qu’il n’est toujours pas actuellement). La transition aux renouvelables pose assurément une foule de problèmes techniques complexes, mais il n’y a pas de raison de les croire insurmontables. Les principaux obstacles sont politiques. Un : sauf exceptions, les énergies renouvelables restent plus chères que les énergies fossiles. Deux : passer aux renouvelables n’est pas la même chose que de changer de carburant à la pompe : il faut changer de système énergétique. Cela requiert d’énormes investissements et ceux-ci, au début de la transition, seront forcément consommateurs d’énergies fossiles, donc générateurs de gaz à effet de serre supplémentaires ; ces émissions supplémentaires doivent être compensées, et c’est pourquoi, dans l’immédiat, la réduction de la consommation finale d’énergie constitue la condition sine qua non d’un passage aux renouvelables qui, une fois opéré, ouvrira de nouveaux horizons. Je le répète : il n’y a pas de solution satisfaisante possible sans affronter le double obstacle combiné du profit et de la croissance capitalistes. Cela implique notamment que les technologies propres contrôlées par le Nord soient transférées gratuitement au Sud, à la seule condition d’être mises en œuvre par le secteur public et sous contrôle des populations.
Vous prônez une écologie sociale que vous appelez l’écosocialisme. Qu’est-ce qu’un écosocialiste ? Et en quoi se différencie-t-il d’un écologiste ou d’un socialiste de « base » ?
D.T. : Un écosocialiste se différencie d’un écologiste en ceci qu’il analyse la « crise écologique » non comme une crise du rapport entre l’humanité en général et la nature mais comme une crise du rapport entre un mode de production historiquement déterminé et son environnement, donc en dernière instance comme une manifestation de la crise du mode de production lui-même. Autrement dit, pour un écosocialiste, la crise écologique est en fait une manifestation de la crise du capitalisme (en n’oubliant pas la crise spécifique des sociétés dites « socialistes » qui ont singé le productivisme capitaliste). Il en résulte que, dans son combat pour l’environnement, un écosocialiste proposera toujours des revendications qui font le lien avec la question sociale, avec la lutte des exploités et des opprimés pour une redistribution des richesses, pour l’emploi, etc.
Par ailleurs, l’écosocialiste se différencie du socialiste « de base », comme vous dites, en ceci que, pour lui, le seul anticapitalisme qui vaille désormais est celui qui prend en compte les limites naturelles ainsi que les contraintes de fonctionnement des écosystèmes. Cela a de nombreuses implications : rupture avec le productivisme et le consumérisme, bien sûr, dans la perspective d’une société où, les besoins de base étant satisfaits, le temps libre et les relations sociales constituent la véritable richesse. Mais aussi contestation des technologies ainsi que des productions nuisibles, couplée à l’exigence de reconversion des travailleurs. La décentralisation maximale de la production et de la distribution, dans le cadre d’une économie démocratiquement planifiée, est une autre insistance des écosocialistes. Un point sur lequel il me semble important d’insister est la mise en cause de la vision socialiste traditionnelle qui voit toute hausse de la productivité du travail agricole comme un pas vers le socialisme. A mon avis, cette conception ne permet pas de rencontrer les exigences de respect accru de l’environnement. En fait, une agriculture et une foresterie plus soutenables écologiquement nécessitent plus de main-d’œuvre, pas moins. Recréer des haies, des bocages, des zones humides, diversifier les cultures, mener la lutte biologique, par exemple, implique une augmentation de la part du travail social investi dans des tâches de maintenance écologique. Ce travail peut être de haute scientificité et de haute technicité – ce n’est pas le retour à la houe – mais il n’est guère mécanisable. C’est pourquoi je pense qu’une culture du « prendre soin » (j’emprunte ce concept à Isabelle Stengers) doit imprégner les activités économiques, en particulier celles qui sont en prise directe sur les écosystèmes. Nous sommes responsables de la nature. D’une certaine manière, il s’agit d’étendre la logique qui est celle de la gauche dans le domaine des soins aux personnes, de l’enseignement, etc. Aucun socialiste ne plaide pour remplacer les infirmières par des robots ; nous sommes tous conscients du fait qu’il faut plus d’infirmières mieux payées pour que les patients soient mieux soignés. Eh bien ! il en va de même, mutatis mutandis, pour l’environnement : pour être mieux soigné, il y faut plus de force de travail, d’intelligence et de sensibilité humaines. Contrairement au « socialiste de base », et même si c’est difficile, l’écosocialiste, parce qu’il est conscient de l’urgence, tâche d’introduire toutes ces questions dans les luttes des exploités et des opprimés, plutôt que de les renvoyer aux lendemains qui chantent.
Beaucoup, dont moi, sont convaincus que la sortie de capitalisme productiviste est une condition incontournable pour lutter efficacement contre le changement climatique.
Pour ce faire, vous en appelez à « l’homme social, les producteurs associés ». Qui sont-ils, et comment peuvent-ils concrètement agir ?
D.T. : Vous faites allusion à la citation de Marx placée en exergue de mon ouvrage : « La seule liberté possible est que l’homme social, les producteurs associés, règlent rationnellement leur échange de matière avec la nature… ». Il faut bien voir que dans l’esprit de Marx, cette régulation rationnelle des échanges est conditionnée par la disparition du capitalisme. En effet, d’une part la lutte de tous contre tous sape en permanence les tentatives des producteurs de s’associer ; d’autre part, une fraction significative des producteurs -les salariés- sont coupés de leurs moyens de production. Ceux-ci, y compris les ressources naturelles, sont appropriés par les patrons. Privés de tout pouvoir de décision, les salariés ne sont pas en mesure de régler rationnellement quoi que ce soit qui concerne la production, pour ne pas parler de régler rationnellement les échanges de matière avec l’environnement ! Pour se constituer en homme social, les producteurs doivent commencer à s’associer dans le combat contre leurs exploiteurs. Ce combat porte en germe l’appropriation collective des moyens de production et l’usufruit collectif des ressources naturelles. Ceux-ci à leur tour sont la condition nécessaire mais non suffisante d’une relation plus harmonieuse avec la nature.
Ceci dit, on peut répondre à votre question sur l’action concrète en examinant comment les différents groupes de producteurs comprennent - ou pas - la nécessité de réguler rationnellement les échanges de matière humanité-nature. Actuellement, il est frappant que les prises de position de type écosocialiste les plus avancées émanent des peuples indigènes et des petits paysans mobilisés contre l’agrobusiness. Ce n’est pas un hasard : ces deux catégories de producteurs ne sont pas, ou pas complètement, coupés de leurs moyens de production. C’est pourquoi elles sont capables de proposer des stratégies concrètes de régulation rationnelle de leurs échanges avec l’environnement. Les peuples indigènes voient dans la défense du climat un argument supplémentaire en faveur de la préservation de leur mode de vie précapitaliste, en symbiose avec la forêt. Quant au mouvement paysan Via Campesina, il a élaboré tout un programme de revendications concrètes sur le thème « les paysannes et les paysans savent comment refroidir le climat ». Par contraste, le mouvement ouvrier est à la traîne. C’est évidemment le résultat du fait que chaque travailleur salarié individuel est amené à souhaiter la bonne marche de l’entreprise qui l’exploite, afin de préserver son gagne-pain. Conclusion : plus les solidarités ouvrières reculeront face à l’offensive néolibérale, plus il sera difficile de développer une conscience écologique chez les travailleurs. C’est un gros problème, car la classe ouvrière, de par sa place centrale dans la production, est appelée à jouer un rôle de premier plan dans la lutte pour l’alternative anticapitaliste nécessaire au sauvetage de l’environnement. Les peuples indigènes, les organisations paysannes et la jeunesse ont donc intérêt à tenter d’impliquer toujours plus les syndicats dans les campagnes pour le climat, en multipliant les collaborations, les contacts à la base, etc. A l’intérieur même du mouvement ouvrier, il convient de faire émerger des revendications qui répondent aux préoccupations en matière d’emploi, de revenu et de conditions de travail tout en contribuant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Un enjeu important à cet égard est la réduction collective radicale du temps de travail, sans perte de salaire, avec diminution drastique des cadences et embauche compensatoire. Un autre volet est l’extension d’un secteur public sous contrôle des travailleurs et des usagers : transports publics gratuits et de qualité, service public de l’énergie, entreprises publiques d’isolation et de rénovation des bâtiments, etc. Les écosocialistes ont un rôle à jouer pour favoriser l’apparition de telles demandes.
Avec L’impossible capitalisme vert vous ne semblez pas craindre d’être taxé de catastrophiste par ceux qui n’ont pas encore compris que nous sommes entrés dans l’ère de l’anthropocène et que l’homme est le principal responsable, notamment depuis l’ère industrielle, de l’emballement climatique. Le capitalisme vert, tout comme « le développement durable » et le « greenwashing », ne participent-ils pas d’une volonté de nier cette responsabilité et de continuer « comme avant » ? La sortie du capitalisme productiviste ne passe-t-elle pas d’abord par une modification de nos comportements de consommateurs et de producteurs ?
D.T. : Je ne suis pas un catastrophiste. Dans mon livre, je me suis basé quasi- exclusivement sur les rapports du GIEC qui, pour ce qui est du diagnostic sur le réchauffement et sur ses impacts possibles, m’apparaissent, quoi qu’on en dise, comme une excellente synthèse de « bonne science », soumise à la peer review. C’est vrai que le GIEC retarde un peu par rapport aux dernières découvertes, mais cela ne change pas grand-chose aux conclusions. En fait, je redoute les discours de panique et de surenchère. Trop souvent, ils tendent à occulter les vraies menaces et les vraies responsabilités. Le basculement climatique se prête bien aux eschatologies, et il ne manque pas de gourous pour clamer que « la planète est en danger », que « la vie est en danger » que « l’humanité est en danger », que le « plafond photosynthétique » va nous tomber sur la tête, ou que sais-je encore. Tout cela est excessif. La planète ne craint rien, et la vie sur Terre est un phénomène à ce point coriace que l’humanité, quand bien même elle le voudrait, ne pourrait probablement pas en venir à bout, même à coup de bombes atomiques… Quant à notre espèce, le changement climatique, en soi, ne la met pas en péril. Le danger qu’il fait planer est plus circonscrit : trois milliards d’êtres humains environ risquent une dégradation substantielle de leurs conditions de vie, et quelques centaines de millions d’entre eux – les plus pauvres – sont menacés dans leur existence même. Les décideurs le savent et ne font rien - ou presque rien - parce que cela coûterait trop cher, et handicaperait par conséquent la bonne marche des affaires. Voilà la réalité toute nue. Trop souvent, les discours catastrophistes ont pour effet d’en voiler la barbarie potentielle, et de diluer les enjeux dans un vague sentiment global de culpabilité : « ne perdons pas de temps à pinailler sur les responsabilités », « nous sommes tous coupables », « nous devons tous accepter de faire des efforts », etc. Pendant ce temps-là, les lobbies énergétiques continuent tranquillement à brûler du charbon et du pétrole à tire-larigot…
Ceci m’amène à la deuxième partie de votre question, concernant le changement de nos comportements de producteurs et de consommateurs. A la suite de ce que j’ai dit plus tôt, il convient de souligner que les salariés sont incapables de changer leurs comportements de producteurs. Qui produit, comment, pourquoi, pour qui, en quelles quantités, avec quels impacts écologiques et sociaux ? au quotidien, seuls les patrons ont le pouvoir de répondre à ces questions et, en dernière instance, ils y répondent en fonction de leurs profits. Les salariés ne peuvent que tenter d’exercer un droit de regard sur la gestion patronale, dans le but de la contester et de prendre conscience de leur capacité de faire mieux, selon d’autres critères que le profit. C’est la dynamique du contrôle ouvrier, et les écosocialistes devraient se pencher sur la manière dont cette vielle revendication peut être revisitée pour englober les préoccupations environnementales.
Pour ce qui est de la consommation, je crois nécessaire de faire la distinction entre les changements individuels et les changements collectifs. A tout prendre, il vaut certes mieux que celui qui voyage en avion compense ses émissions de CO2 d’une manière ou d’une autre, mais cette compensation lui permettra surtout de s’acheter une bonne conscience à bon marché tout en le détournant du combat politique en faveur des changements structurels indispensables. Promouvoir ce genre de comportements, c’est faire le jeu du « greenwashing », et celui-ci vise effectivement à « continuer comme avant ». Autre chose sont les changements collectifs qui concourent à valider une autre logique possible, favorisent l’invention de pratiques alternatives et contribuent à la prise de conscience que des changements structurels sont nécessaires, qui passent par une mobilisation sociale. Ces changements-là, tels que les groupements d’achat de produits bio auprès des agriculteurs, ou les potagers urbains collectifs, sont à encourager.
Peut-on lutter contre le basculement climatique sans tenir compte des coûts financiers et sociaux que cela représente ? Y-a-t-il urgence à bâtir un autre modèle et à risquer de mettre en péril la société toute entière ? Entre Nature et civilisation, quel choix ?
D.T. : Dire qu’une autre politique climatique mettrait la société toute entière en péril au nom d’une priorité de la Nature sur la civilisation, c’est mettre la réalité sur sa tête ! Ce qui se passe en vérité, c’est que la politique actuelle met la civilisation en péril tout en causant d’énormes dommages irréversibles à la Nature, qui est notre patrimoine commun. Cette politique est totalement subordonnée au dogme de l’efficience-coût, et on voit ce que ça donne : des peanuts. Nous allons droit dans le mur. Evidemment, une autre politique ne pourra pas faire comme si le coût des différentes mesures à prendre n’avait aucune espèce d’importance : entre deux stratégies équivalentes pour réduire les émissions, il est raisonnable de choisir celle qui, toutes autres conditions étant égales, coûtera le moins cher à la collectivité. Mais le fond de l’affaire qu’il faut d’abord une autre politique, guidée par d’autres critères que le coût, notamment des critères qualitatifs. Sur le plan technique, un critère essentiel est celui de l’efficience énergétique au niveau des filières. Le grand écologiste américain Barry Commoner plaidait déjà cette cause il y a plus de vingt ans. Il est thermodynamiquement absurde, disait-il, de transporter du charbon sur des milliers de kilomètres pour produire de l’électricité qui, une fois acheminée sur des centaines de kilomètres, servira à chauffer de l’eau sanitaire, chose que l’on peut très bien faire avec un chauffe-eau solaire. Sur le plan social, un critère majeur doit être la protection des populations et de leur bien-être, en particulier la protection des plus pauvres. Ce critère, aujourd’hui, est très largement ignoré, d’où le drame du Pakistan, entre autres.
Enfin, pensez-vous que votre projet écosocialiste soit réalisable dans un avenir proche ?
D.T. : La possibilité de réaliser ce projet dépend entièrement des rapports de force entre le capitalisme d’une part, les exploités et les opprimés d’autre part. Ces rapports de force sont actuellement à l’avantage du capital, il ne faut pas se le cacher. Mais il n’y a pas de troisième voie possible : les tentatives de sauver le climat par des mécanismes de marché étalent tous les jours leur inefficacité écologique et leur injustice sociale. Il n’y a pas d’autre chemin que celui de la résistance. Elle seule peut changer les rapports de forces et imposer des réformes partielles allant dans la bonne direction. Copenhague a été un premier pas, le sommet de Cochabamba un second. Continuons à marcher, unissons-nous, mobilisons-nous, construisons un vaste mouvement mondial pour le sauvetage du climat dans la justice sociale. Ce sera plus efficace que toutes les démarches lobbyistes de ceux qui se font des illusions sur le capitalisme vert.
SOURCE
http://www.ecologitheque.com/itwtanuro.html
José, reviens !
PLUS DE 1 000 KILOMETRES A VELO POUR DEPOSER LA PETITION POUR DEMANDER A JOSE BOVE DE REDEVENIR UN REBELLE
Réponse de José Bové par SMS le mercredi 18 juillet 2012 : « Désolé, je vous aurais accueilli avec plaisir mais il n'y plus de session au parlement. Amicalement, José ».
Le mercredi 17 juillet 2012, le peloton de cyclistes venu du célèbre MacDonald de Millau démonté par José Bové s’est présenté devant le Parlement de Strasbourg pour remettre au député européen Europe Ecologie-Les Verts la pétition « José reviens ! ». Les objecteurs de croissance ont parcouru plus de mille kilomètres à travers la France pour déposer plus de 1 300 signatures et près de 500 messages de soutien à cette action. L’arrivée a été l’occasion de reprendre l’hymne « José reviens ! » devant le Parlement (texte ci-dessous). Pendant ce temps, la représentante d’Europe Ecologie-Les Verts admirait l’aviation de chasse française à la tribune présidentielle lors du défilé du 14 juillet.
Les cyclistes ont découvert pour l’occasion que le Parlement européen ne possédait pas de boite aux lettres ! Gardé par des vigiles d’une entreprise privée, il est en effet impossible d’y déposer un courrier. Significatif des institutions européennes que José Bové dénonçait justement avant de rejoindre le VRP du capitalisme vert Daniel Cohn-Bendit. Il faudra donc attendre la rentrée parlementaire pour qu’un sympathisant strasbourgeois puisse remettre la pétition au bureau de José Bové. Dix ans plus tôt, José Bové était aux côtés des objecteurs de croissance qui le soutenaient lors de ses procès. José reviens !
Merci à tout ceux qui ont pédalé pour tous les signataires : Jean-Yves et Catherine du Dévoluy, Henri et Roselyne de Bordeaux, Bruno de Saint-Etienne, Aude, Laetitia, Catherine, Antoine, Joël, Serge, Rémi, Vincent de Lyon, Daniel, Marine, Arthur de Strasbourg, Matthieu de Châtillon-en-Diois. Merci à ceux qui nous ont accueilli notamment à Maurice et Marie-Jo de la Confédération paysanne à Arbois, Yann et sa compagne de Montbéliard, Didier de Bergerac. Merci à Thomas pour l’organisation.