Nicholas Georgescu-Roegen
Nicholas Georgescu-Roegen (Constanţa, Roumanie, 4 février 1906 - Nashville, Tennessee, 30 octobre 1994) est un mathématicien et économiste hétérodoxe roumain dont les travaux ont abouti au concept de décroissance.
Biographie
Nicolae Georgescu naît à Constanţa le 4 février 1906. Sa mère, issue d'une famille modeste, enseignait la couture dans une école de commerce pour filles ; son père, officier dans l'armée, meurt quand Nicolae a sept ans. Élève brillant, il reçoit une remarquable formation en mathématiques qui lui servit pour ses futurs travaux en théorie économique. En 1926, alors étudiant à l'université de Bucarest, il s'inscrit ainsi à un séminaire sur les singularités des équations différentielles, sur l'enseignement duquel il se fondera pour l'un de ses plus importants articles, The Pure Theory of Consumer's Behaviour, publié en août 1936. A la même époque, il assiste aux conférences de Grigore Antipa, directeur du Muséum de Bucarest et fondateur de la Géonomie. Il obtient ensuite une bourse pour étudier à Paris.
Entre 1927 et 1930, il étudie à l'Institut de statistique de l'Université de Paris (ISUP) dont il sort docteur en statistique. Sa thèse, publiée dans le Journal de la Société de statistique de Paris, a pour titre Le problème de la recherche des composantes cycliques d'un phénomène. Son travail sur les phénomènes périodiques le convainc que les phénomènes sociaux ne pouvaient en aucun cas être décrits par les méthodes « mécaniques » de la statistique classique. Bien qu'il n'eût pris que deux cours d'économie à la Sorbonne, il aboutit à la conclusion que « les phénomènes économiques ne pouvaient être décrits par un système mathématique ».
Alors qu'il suit les cours de Karl Pearson au University College de Londres (1930-1932), son travail suscite l'intérêt des économistes du Harvard Economic Barometer – probablement du fait de l'intervention de Pearson lui-même. Il obtient une bourse de la fondation Rockefeller pour participer à ce projet. Arrivé à Harvard au printemps 1934, il apprend que le Harvard Economic Barometer n'existe plus. Il demande alors un entretien à Joseph Schumpeter qui travaillait à l'époque sur ses Business Cycles. Cette rencontre fortuite l'amène à rejoindre l'équipe de Schumpeter qui comptait dans ses rangs Wassily Leontief, Edgar Hoover, Frank Taussig, Oskar Lange, Fritz Machlup, Gerhard Tintner, Nicholas Kaldor et Paul Sweezy. C'est durant cette intense période intellectuelle (1935-1936) que Nicholas Georgescu-Roetgen devient économiste : il publie quatre articles qui jettent les bases de sa théorie de l'utilité et de la production.
Il enseigne à l'université de Bucarest puis à l'Université Vanderbilt, Nashville aux États-Unis (et furtivement à l'Institut universitaire d'études du développement de Genève en 1974 et à Strasbourg, 1977-1978). Outre ses fonctions d'enseignant, il a occupé de nombreux postes dans la fonction publique roumaine.
Travaux
Il a entre autres contribué, en économie, à l'introduction du concept physique d'entropie. Ses travaux ont contribué de façon significative à l'élaboration de la bioéconomie, qui ouvre un pont entre sciences économiques, sciences biologiques (loi de l'évolution, néodarwinisme). À ce titre, il fait partie du courant évolutionniste des économistes. Mais il lie aussi sciences économiques et sciences physiques (thermodynamique), ouvrant la voie à l'économie thermodynamique. Son ouvrage majeur est The Entropy law and the Economic Process paru en 1971 dans lequel il écrit :
« Le processus économique n’est qu’une extension de l’évolution biologique et, par conséquent, les problèmes les plus importants de l’économie doivent être envisagés sous cet angle »
— Nicholas Georgescu-Roegen, The Entropy law and the Economic Process
« la thermodynamique et la biologie sont les flambeaux indispensables pour éclairer le processus économique (...) la thermodynamique parce qu’elle nous démontre que les ressources naturelles s’épuisent irrévocablement, la biologie parce qu’elle nous révèle la vraie nature du processus économique »
— Nicholas Georgescu-Roegen, The Entropy law and the Economic Process
Pour ses partisans, ces théories réconcilieraient économie et écologie en réintégrant la science économique dans la pensée scientifique contemporaine de la révolution industrielle et de la découverte de l'évolution biologique. Elles apporteraient un éclairage novateur et fécond dont les implications pratiques dépassent l'économie politique. Elles mettraient en évidence l'impossibilité de résoudre les problèmes environnementaux par le seul progrès scientifique et technologique.
Jugeant l'économie libérale de la théorie néoclassique beaucoup trop mécanique, Georgescu-Roegen a mis en lumière la contradiction entre la deuxième loi de la thermodynamique, la loi de l'entropie – c'est-à-dire la dégradation inéluctable, suite à leur usage, des ressources naturelles utiles à l'humanité – et une croissance économique matérielle sans limites. Il appelait pour sa part à une décroissance pour tenir compte de la loi physique de l'entropie.
Certains critiques considèrent que mêler l'entropie au processus économique, caractérisé plutôt par des effets d'auto-organisation et d'adaptabilité, est précisément trop mécanique.
Georgescu-Roegen manifestait la conviction que la joie de vivre est la véritable finalité de l'activité économique. Toutefois, on trouve également sous sa plume cette phrase, concernant les moyens concrets de la décroissance :
« L'humanité devrait progressivement réduire sa population à un niveau qui lui permettrait de pouvoir être nourrie par la seule agriculture biologique. Bien entendu, les nations qui connaissent aujourd'hui une forte croissance démographique auront un effort difficile à fournir pour obtenir le plus rapidement possible des résultats dans cette direction. »
La formule, dépourvue de tout autre commentaire, est étrange, sinon inquiétante. Georgescu-Roegen avait une vision pessimiste de la nature humaine et de la vie en général ("L'espèce humaine est caractérisée par l'existence d'un conflit social irréductible").
Dans la préface à Analytical Economics, Paul Samuelson écrit :
« Le professeur Georgescu-Roegen est plus qu'un économiste mathématicien. Il est tout d'abord un économiste, et le premier à rejeter les prétentions du charabia symbolique. Les subtilités de la production marginale et de l'utilité originale n'échappent pas à son examen sceptique... Comme il a une formation mathématique très supérieure, il est tout à fait immunisé contre les charmes de séduction de ce sujet et est capable de conserver une attitude objective et terre à terre sur son utilisation... Je défie tout économiste informé de rester satisfait de soi après avoir médité sur cet essai. C'est donc un livre à posséder et à savourer. »
— Paul Samuelson, Analytical Economics
Pour Henri Guitton,
« Georgescu-Roegen a voulu remédier à l'absence de pont reliant la physique théorique à l'économie. Il nous confie s'être lancé seul dans cette aventure, courant un risque dont il est sûr qu'il n'est pas vain... Novateur il le demeure, et un novateur souffre toujours au départ de sa solitude. Mais peut-être que maintenant, des disciples se joindront à lui pour poursuivre son avance ? »
— Henri Guitton
Pour Jacques Grinevald :
« Apparemment isolée, l'œuvre de Nicholas Georgescu-Roegen doit se comprendre dans un vaste mouvement de rénovation intellectuelle. Il manquait une véritable anti-Economique ; elle survient et elle sera une bio-économique. Il faut d'abord prendre connaissance de la situation de notre connaissance si nous voulons faire servir la renaissance que nous réclamons. L'affaire Galilée n'est pas close, mais déjà s'ouvre l'affaire Georgescu-Roegen: l'enjeu vaut le combat et celui-ci sera non-violent ou ne sera pas. »
— Jacques Grinevald
L'économiste américain Herman Daly a écrit en 2007 que trop peu d'attention a été portée aux travaux de Georgescu-Roegen car ceux-ci étaient en avance sur leur temps.
Publications
On trouve une chronologie des publications de Georgescu-Roegen et de leur traduction dans La Décroissance (voir plus bas la référence.)
- 1935, Fixed Coefficients of Production and the Marginal Productivity Theory, Review of Economics and Statistics, vol 3, pp 40-49
- 1936, The Pure Theory of Consumer's Behavior, Quaterly Journal of Economics, vol 50, pp 533-539
- 1966, Analytical economics. Issues and Problems. Cambridge, Harvard University Press. La Science économique : ses problèmes et ses difficultés, par N. Georgescu-Roegen, … Traduit par Mme F. Rostand, …Préface de P. Samuelson, … Préface de H. Guitton, … – Paris, Dunod, 1970. 23 cm, XV-300 p. (Collection du centre d’économétrie de la faculté de droit et des sciences économiques de Paris, association Cournot, dirigée par Henri Guitton.)
- 1971, The Entropy Law and the Economic Process. Traduction du chapitre 1 en français dans La décroissance - Entropie - Écologie - Économie, éd. 2006, ch. I, p.63-84.
- 1975. "Energy and Economic Myths", in The Southern Economic Journal, 1975, XLI, 3, p.347-381. Traduction française dans La Décroissance, éd. 2006, ch. II, p. 85-166.
- 1977. "The Steady Sate and Ecological Salvation: A Thermodynamic Analysis", in BioScience, avril 1977, vol. 27, no4, p.266-270. Traduction française dans La Décroissance, éd. 2006, ch. II, p. 167-190.
- 1979. Demain la décroissance. Entropie, écologie, économie. Traduction, présentation et annotation Jacques Grinevald et Ivo Rens. Lausanne, Pierre-Marcel Favre, 1979. 21 cm, 157 p. [La décroissance. Entropie, écologie, économie. 2e édition revue et augmentée. Traduit et présenté par Jacques Grinevald et Ivo Rens. Paris, Sang de la Terre, 1995. 21 cm, 220 p. ; 3e édition revue. Paris, Sang de la Terre et Ellébore, 2006. 22,5 cm, 304 p.] texte disponible en ligne
- 1983. La Loi de l'Entropie et l'évolution économique", Congrès des Économistes de Langue française, Strasbourg, 7 juin 1983.
Bibliographie
- Arnaud Diemer et Sylvère Labrune, « L’écologie industrielle : quand l’écosystème industriel devient un vecteur du développement durable », Développement durable et territoires [En ligne], Varia, mis en ligne le 30 août 2007. URL : http://developpementdurable.revues.org/index4121.html
- Fabrice Dannequin et Arnaud Diemer, « L’analyse de la production chez Nicholas Georgescu-Roegen », Cahiers du GRATICE, no 17, 2e semestre 1999, p. 263-287.
- Fabrice Dannequin et Arnaud Diemer, « De l’entropie à la constitution d’un programme bioéconomique : Le grand projet de Nicholas Georgescu-Roegen », Cahiers du CERAS, no 42, décembre 1999, p. 1-9.
- Fabrice Dannequin et Arnaud Diemer, « La place de la biologie et de la thermodynamique dans la théorie contemporaine : l’œuvre de Nicholas Georgescu-Roegen », Colloque de l’association Charles Gide, les 26 et 27 septembre 1999, p. 1-8.
- Fabrice Dannequin, Arnaud Diemer et Franck-Dominique Vivien, « N. Georgescu-Roegen : penseur de la production, penseur de la révolution industrielle », Colloque organisé par l’association Charles Gide, Strasbourg 6 et 7 novembre 1998, p. 1-43.
- Grinevald, Jacques. 1974. « L’économiste Georgescu-Roegen : intégrer l’économie dans la problématique énergétique et écologique », Uni-information, no 36, juin-juillet 1974, p. 28-29.
- Grinevald, Jacques. 1980.« La Perspective bioéconomique de Nicholas Georgescu-Roegen », Cahiers du GERMES, Paris, no 4, juin 1980, « Questions à la bioéconomie », p. 27-44.
- Grinevald, Jacques. 1981. « Energy and Economic Myths, by Nicholas Georgescu-Roegen », Technology and Culture, no 22, 1981, p. 655-658.
- Grinevald, Jacques. 1992. « La révolution bioéconomique de Nicholas Georgescu-Roegen : à propos de la première Conférence internationale de bioéconomie à Rome les 28-30 novembre 1991 », Stratégies énergétiques, biosphère & société, Genève, Hygiène et médecine, octobre 1992, p. 23-34.
- Grinevald, Jacques. 1994. « Georgescu-Roegen : Bioéconomie et Biosphère », Silence, Lyon, avril 1993, no 164, p. 4-14.
- Grinevald, Jacques. 1995. « Hommage à Nicholas Georgescu-Roegen (1906-1994) », Stratégies énergétiques, biosphère & société, Genève, Hygiène et médecine, 1995, p. 149-151.(En ligne : http://www.unige.ch/sebes/textes/1995/95JGRoegen.html)
- Grinevald, Jacques, 2006, « Nicholas Georgescu-Roegen, dissident de l’Occident et visionnaire de la décroissance », dans La Revue Durable no 20, avril-mai-juin 2006, p. 8-13.
- Maneschi, Andrea, Nicholas Georgescu-Roegen and the Filiation of Economic Ideas. Working Paper No. 00-W18, June 2000. Department of Economics, Vanderbilt University, Nashville, TN 37235.
- (en) Mayumi, K. 1995. Nicholas Georgescu-Roegen (1906-1994): an admirable epistemologist. Structural Change and Economic Dynamics 6: 115-120.
- (en) Mayumi, K. and Gowdy, J. M. (eds.) 1999. Bioeconomics and Sustainability: Essays in Honor of Nicholas Georgescu-Roegen. Cheltenham: Edward Elgar.
- (en) Mayumi, K. 2001. The Origins of Ecological Economcs: The Bioeconomics of Georgescu-Roegen. London: Routledge.
Filmographie
- « Hommage à Nicholas Georgescu-Roegen » avec Jacques Grinevald, un film documentaire de Vincent Liegey, réalisé par Debora Blake, Paris, juin 2008.
Vidéo
Décroissance : Hommage à Nicholas Georgescu-Roegen from Décroissance - Degrowth on Vimeo.
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